Je n’aime pas écrire, c’est lassant et trop lent. Je n’aime pas tenir le stylo entre mes doigts et former des lettres approximatives, toujours plus éloignées de ce à quoi elles devraient ressembler. Je n’aime pas écrire mais j’aime dire des choses. Il m’arrive de trop parler sans n’avoir rien à dire à personne et là, mon monologue incessant me navre sans que je réussisse à me taire. Pour palier à mon énervement de m’entendre dire des choses inutiles je me suis mise à écrire. Finalement je n’écris pas mes vomissures navrantes, j’écris autre chose ; cette autre chose qui ne sort pas de ma bouche. Je pensais mes inutilités orales seules paroles ayant besoin de sortir de moi mais à l’évidence il y avait aussi ma main qui voulait déblatérer en écho avec ma bouche.
Parfois je ne comprends pas mes mots. Lorsque je réfléchi les mots, leur orthographe par exemple, ils me paraissent soudainement invraisemblables et sortant de mon imagination. J’ai beau dire et redire ces mots à voix haute ils n’existent plus ; leurs sons n’évoquent plus rien en moi, à part peut-être un charabia d’une langue ancienne ou d’une contrée lointaine. Pourtant à chaque fois ce mot existe, je suis juste dans l’incapacité de l’identifier aussi bien phonétiquement que par écrit. Pour sortir de cette incompréhension il me faut ouvrir un livre de mots et chercher, vérifier.
Je n’aime pas écrire, je passe trop de temps à chercher mes mots dans les livres, mais pire encore je passe trop de temps à écrire, ou plutôt écrire me prend trop de temps : ma pensée est comme une voix interminable qui me dicte quoi écrire, un peu comme le font certains professeurs au lycée, à la différence près qu’eux ont leurs textes sous les yeux et peuvent le répéter indéfiniment si l’envie leur en prenait. Alors que mes pensées, elles, arrivent en un instant et disparaissent l’instant suivant, aussitôt remplacées et ainsi de suite. Je me retrouve souvent avec des morceaux de phrases interminées et interminables, la fin a quitté mon esprit avant que ma main n’ai eu le temps de la fixer sur le papier ou que ma mémoire ne l’ai enregistré. Oublier ces fins de phrase m’énerve au plus haut point, et c’est une des raisons qui m’a fait apprendre le clavier de la machine à écrire puis de l’ordinateur lorsque j’étais enfant : il est beaucoup plus rapide de taper un texte que de l’écrire à la main. Cela m’arrange bien d’ailleurs parce que le texte tapé est bien uniforme, sans ratures et chose très importante : les lettres sont toutes exactement les mêmes et c’est mieux ainsi. Je n’aime pas écrire et pourtant j’aime noter des choses sur des carnets, faire des listes de choses à faire ou à acheter. J’aime bien clarifier mon esprit avec les listes.
J’ai des listes de tout : des choses à faire, à ne pas faire, de choses à cuisiner, de choses qu’il ne faut pas oublier, etc. Je garde toutes mes listes avec mes post-its écrits. Cela me permet de garder une trace de ce que je devais faire et de ce que j’ai fait. Cette boite est blanche, je l’ai peinte, et contient aussi quelques cartes de visites de gens à qui je devais écrire il y a maintenant plus de deux ans, et à qui, bien évidemment, je n’ai pas écrit.
Je n’écris plus à personne. Principalement parce que les rares personnes avec qui je correspondais ont fini par ne plus me répondre, ce qui au fond n’est pas plus mal, vu le peu de choses que nous avons maintenant en commun. Les gens changent trop vite, ou pas assez. Et lorsque cela arrive je me lasse d’elles. Je me lasse de tout le monde. Surtout d’eux. Alors je fais semblant, semblant qu’ils ne me navrent pas avec leurs vies minables d’intérêt, semblant qu’ils ne sont pas là, qu’ils n’existent pas. Parce que de toute façon leurs existences ne m’intéressent pas, pas plus que ce qu’ils peuvent faire, dire, penser, ou vivre chaque jour.
[12-11-11]
Ω