Ligne de flottaison.

Tu ne sais plus quand tu avais commencé. Tu aimais rester assis de longues heures à observer le vide des gens devant toi. Au fur et à mesure de tes explorations visuelles, toujours assis au même endroit sur ton banc au milieu du parc, tu as fini par distinguer. Tu auras mis du temps à savoir quoi, mais tu auras toujours été ravi de ce qui défilait sous tes yeux.
Puis tu as compris que c’était elle que tes yeux distinguaient le plus. Presque sans faire attention tu notais mentalement ses actions, ses mimiques et chacun de ses traits. Tu venais tous les jours depuis presque un an avant de commencer à comprendre ce que tu cherchais vraiment du regard, jour après jours pendant des heures. Tu restais là, fixe sur ce banc et tu attendais. Tu n’avais même pas fait attention à elle la première fois, puis tes yeux s’habituèrent à la voir là, toujours aux mêmes endroits chaque jour.
Tu voulais savoir la raison de sa venue sans oser aller lui parler, et pas seulement parce que c’tait interdit.
Alors tu restais captivé des heures à ajouter chaque détail de son corps à ta mémoire et chaque soir tu la faisais danser dans sa grande robe blanche, pour toi, rien que pour toi, durant des heures et tu t’endormais heureux.

Elle était frêle, tu avais presque peur de l’abîmer en la regardant avec autant d’insistance, mais tu ne pouvais plus te passer de sa présence. Des heures durant, elle restait fixe, debout à regarder les arbres du parc qui formaient une limite naturelle avec le reste du vrai monde. Puis lorsque ces arbres avaient fini de lui dire leurs rêves, elle s’en allait observer l’eau de la fontaine. Il n’y avait plus de poissons depuis que tu les avais empoisonnés avec tes médicaments, mais elle semblait ne pas y prêter attention et leur racontait tous ses désirs de voyages.
Certains jour de vent, ses longs cheveux noirs s’entortillaient sur son visage pâle et chahutaient avec les gouttes d’eau perdues de la fontaine. Sa longue robe blanche la rendait spectrale et faisait frissonner tout ceux qui, silencieusement, comme toi, l’observait.

Tu redoutais l’hiver. Avec son épaisse couche neigeuse, plus personne ne pouvait aller dans le parc comme habituellement en été. Heureusement certains des infirmiers autorisaient une courte sortie, histoire de prendre un peu l’air.
Ce jour-là il faisait particulièrement froid mais ensoleillé, la neige brillait au soleil. Tu avais atteint ton banc et la cherchais déjà du regard, sans même t’en apercevoir. Tu la vis avant eux. Tes yeux avaient maintenant l’habitude de ne voir plus qu’elle. Elle n’était pas à sa place. Elle ne contemplait pas la haie d’arbres ni son amie la fontaine. Elle était debout, face à toi, mais trop loin pour te remarquer vraiment. Son corps flottais sur le balcon du cinquième étage. Ses cheveux et sa robe semblaient se débattre dans le vent. Elle frissonnait. C’était bien normal par ce temps et elle était si peu couverte. Tu avais froid pour elle et tu aurais aimé pouvoir la réchauffer dans tes bras.
Tu fus le seul à la voir s’élancer dans les airs. Elle flottait depuis tellement longtemps, un peu plus à chaque brise, que tu ne trouvais même pas cela étrange.
Bien sur elle ne flottait pas. Son corps s’écrasa mollement dans la neige immaculée. Comme personne ne semblait la voir, tu te levas enfin de ton banc et tu allas l’enserrer de tes bras. Elle était déjà si froide, il te fallait la réchauffer. Tu glissas tes mains sous sa tête et son dos et tu l’enlaças. Elle était toujours gelée à cause du froid ambiant mais en toi montait une chaleur nouvelle qui te fit chavirer. Tu l’embrassas et te couchas tout contre elle en lui tenant la main. Elle était enfin tienne. Pour toujours.

[08-09-12]

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